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Obamush sur les traces de l’oncle George Aperçu de la politique étrangère américaine un après la victoire d’Obama… et quelques semaines après son ridicule prix Nobel

Par Ciro Tappeste (15 novembre 2009)
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Un an après la victoire historique de Barack Obama à la présidence des États-Unis, le climat est beaucoup moins à l’enthousiasme à Washington — et le geste dérisoire de l’académie Nobel ne peut rien y changer, si tel est son but. La bourgeoisie et l’establishment américains qui avaient salué la victoire du « Yes we can » du premier président Noir semblent beaucoup plus préoccupés qu’il y a encore quelque temps. La droite républicaine pour sa part multiplie plus encore que sous la présidence Clinton, après la défaite de ce dernier aux élections de mi-mandat en 1994, ses attaques contre une administration accusée de tous les maux. Les attaques de la droite républicaine sont surtout symptomatiques d’une grande polarisation de la société américaine qui traverse même l’armée comme en témoigne la récente fusillade de Fort Hood au Texas.

En effet, une bonne partie de l’offensive en règle relayée par le réseau médiatique de Ruport Murdoch, à commencer par la chaîne FoxNews, se caractérise par une certaine outrance politique puisque Obama passe le plus clair de son temps à avancer en cherchant le soutien non seulement de l’ensemble de son propre parti, notamment de son aile droite, mais également celui des Républicains, insistant sur le fait qu’il faut se centrer « sur les choses qui unissent [les Américains] et non sur celles qui [les] divisent ». Décevant nombre de ses électeurs il ne réussit pas cependant à satisfaire sa droite. Cette situation ne tient pas seulement au fait qu’il « existait chez Obama une tendance à promettre aisément une série de chose pour faire le choix du compromis par la suite », comme le note David Bromwich dans le numéro d’octobre de la London Review of Books. Il s’agit là d’une tendance bien plus profonde de l’orientation démocrate depuis le début du mandat d’Obama.

En effet, si pendant les premiers mois les envolées lyriques du nouveau président avaient pu faire illusion, force est de constater qu’il en restait plus à un registre électoral et à la manifestation d’intentions qu’à des actes concrets opérant une rupture véritable avec les deux présidences de son prédécesseur, George Bush. Et si l’on passe en revue la politique de la Maison Blanche, celui qui se présentait il y a un an comme le « candidat du changement » se révèle être fondamentalement le « président de la continuité », une continuité semée d’embûches et de contradictions qui apparaissent aujourd’hui clairement (1).

Tendance à une reprise partielle de l’économie américaine sur fond d’effritement du consensus démocrate

Le grand mérite d’Obama du point de vue de la bourgeoisie est sans doute d’avoir réussi à éviter à moyen terme que l’impact catastrophique de la crise économique mondiale ne secoue encore davantage le capitalisme américain. Sur ce plan néanmoins il n’a fait qu’appliquer les orientations prises par les instances financières fédérales, comme Bush à la fin de son mandat. Son secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, a d’ailleurs été identifié dès le début par la presse progressiste étasunienne comme l’homme de Wall Street, proche de l’administration Bush dans le passé et dirigeant de la Réserve Fédérale de New York. Plus globalement cependant, les difficultés se sont accumulées au cours des derniers mois pour la Maison Blanche, faisant croître le nombre de mécontents sur la gauche mais aussi et surtout sur la droite du nouveau président, y compris au sein de son propre camp, le Parti Démocrate.

Sur le plan économique, les derniers chiffres publiés font état d’une tendance à une sortie timide de la récession. Il n’en reste pas moins que les faillites en série continuent à secouer le secteur des établissements bancaires américains, la dernière en date étant celle de la maison mère du groupe CIT, début novembre, représentant la cinquième plus grosse faillite de l’histoire des États-Unis. Sur le front du chômage, la situation continue à être extrêmement délicate, frappant tout particulièrement ce que l’on appelle désormais la « génération récession ». Comme le souligne Lizzy Ratner dans le numéro de début novembre de The Nation, les 18-35 ans, la base électorale d’Obama, traversent la situation la plus catastrophique de l’histoire américaine depuis l’Après-guerre. Ces jeunes ont vu partir en fumée 2,5 millions d’emplois les concernant depuis le début de la crise. Le taux de chômage global a quant à lui atteint son niveau le plus haut depuis vingt-six ans, 10% officiellement, 17% si l’on compte les personnes ayant renoncé à chercher un emploi. Si l’on s’en réfère au déficit intérieur américain, il a littéralement explosé en raison de la poursuite des plans de sauvetage massifs décidés par Bush puis par Obama. Les déséquilibres structurels à l’origine de l’explosion de la crise sont donc intacts et compromettent pour l’instant fortement toutes les prévisions d’un retour soutenu à la croissance dans un avenir proche.

Obama doit de plus affronter, sur le plan interne, une situation qui s’annonce compliquée. En dépit du vote par la Chambre des représentants, à une courte majorité, de la réforme de la couverture santé, le projet qui vient de passer est profondément dénaturé par rapport aux promesses électorales d’Obama. En alignant au bout du compte ses futurs tarifs sur ceux du secteur privé, le nouveau système n’offrira pas un meilleur rapport qualité-prix que le privé, dont les intérêts sortent complètement intacts de la réforme votée. De plus, un amendement permet d’exclure de tout remboursement public un IVG (2). Mais cela ne suffit pas pour le Sénat, dominé par les Républicains, qui ne compte pas discuter du texte avant 2010, en dépit des sollicitations du président. Le recul de la Maison Blanche sur la question de la réforme du système de protection sociale malgré la victoire à la Chambre indique les contradictions auxquels les démocrates ont à faire face : attaqués sur leur droite, ils voient également s’effriter sur leur gauche le soutien dont jouissait jusqu’alors Obama auprès d’un secteur consistant de l’opinion progressiste qui avait constitué un réseau dynamique pour la campagne des démocrates en 2008. Si cette perte de vitesse est visible au niveau national, la situation est devenue encore plus patente à la suite des dernières élections en Virginie et dans le New Jersey. Dans ce dernier État, considéré comme un bastion démocrate, le gouverneur sortant, Jon Corzine, vient de perdre son poste au profit des Républicains. Cela révèle que l’assise d’Obama, qui s’était personnellement impliqué dans ces élections, s’érode plus rapidement que ne pouvaient le prévoir la plupart des analystes lors de son accession au pouvoir en février 2009. Selon Dave Lindorff dans Counterpunch une « débâcle encore plus grande pourrait se profiler en 2010, (…) année d’élection qui voit le renouvellement de la totalité des sièges de la Chambre des représentants et d’un tiers du Sénat. Traditionnellement le parti du président perd des sièges même quand les choses vont bien. Mais quand elles vont mal, alors les pertes peuvent être encore plus importantes… »

Une politique étrangère tout en continuité

Mais c’est sans doute sur le plan extérieur que la situation est la plus délicate pour la Maison Blanche et met en exergue les contradictions auxquelles la politique démocrate a à faire face. Obama avait manifesté son intention d’opérer un changement par rapport à l’orientation des deux présidences républicaines. L’objectif n’était plus de vouloir rétablir coûte que coûte l’hégémonie étasunienne en déclin depuis plus d’un quart de siècle en s’appuyant sur une politique principalement unilatérale et militaire. Conscient des limites de la politique bushienne, plus pragmatique que les think tanks néo-conservateurs qui avaient présidé à la théorisation de la guerre permanente contre le terrorisme, Obama entendait mener une politique étrangère marquée, sur la forme et en partie sur le fond, par une certaine discontinuité par rapport à celle de son prédécesseur. La restauration de l’hégémonie déclinante devait passer par une approche beaucoup plus multilatérale et pragmatique de la politique étrangère, impliquant davantage les partenaires impérialistes des États-Unis, ainsi que certaines puissances régionales subalternes, tout en adoptant sur la forme un discours beaucoup moins arrogant et respectueux des alliés de Washington. On ne peut que constater cependant qu’Obama se heurte à de plus grandes difficultés que prévu pour mener cette opération à bien. Sur le fond, comme le note l’éditorialiste Mehdi Hasan dans l’hebdomadaire progressiste britannique The New Statesman du 8 octobre, « la distance entre Obama et Bush sur un certain nombre de dossiers n’est pas aussi importante que nombre de personnes l’avaient pensé ou même espéré, et elle se réduit même de jour en jour. Mais ce n’est peut-être pas une grande surprise. »

Le seul succès pour la Maison Blanche en termes de politique étrangère semblait être l’accord réactionnaire auquel étaient arrivés les secteurs putschistes honduriens avec le président Zelaya le 30 octobre dernier. Washington, dont les multinationales présentes au Honduras et les conseillers militaires avaient appuyé le coup d’État de Micheletti fin juin, semblait avoir réussi à neutraliser les forces qui s’étaient opposées avec courage et détermination au putsch. Le mouvement ouvrier et populaire hondurien, qui a été à l’origine de mobilisations constantes depuis fin juin, incluant des manifestations massives et des grèves, n’a pas réussi à mettre en échec le gouvernement de facto. Mais il avait empêché ce dernier de stabiliser la situation malgré les arrestations massives et la répression de « la résistance », comme ont été baptisés les secteurs anti-Micheletti au Honduras. Le 6 novembre cependant, Zelaya a fait volte-face et dénoncé l’interprétation de l’accord par les putschistes, prévoyant notamment la formation d’un gouvernement d’union nationale sans ministres zélayistes… Mais le Département d’État américain semble décidé à se jouer des formes désormais. Washington a même laissé entendre que les résultats, qui s’annoncent déjà truqués, de la consultation du 29 novembre pourraient être reconnus, que le président renversé soit ou non rétabli dans ses fonctions. Sur la question hondurienne donc, Obama peut légitimement se vanter de se différencier de son prédécesseur : c’est davantage à Ronald Reagan qu’il ressemble, spécialiste des coups tordus en Amérique centrale dans les années 1980 et soutien indéfectible des dictatures militaires sanguinaires qui ont mené les guerres contre-insurrectionnelles contre le mouvement paysan, les luttes indigènes et les mouvements armés d’extrême gauche. Mais la gestion des autres dossiers de politique extérieure qu’ont à traiter la Maison Blanche et le Département d’État, autrement brûlants pour les intérêts étasuniens et la situation internationale, s’est révélée autrement plus ardue.

« Afghanistan : face tu perds la guerre, pile tu perds aussi »

C’est par cette formule lapidaire qu’Immanuel Wallerstein définit la situation actuelle en Afghanistan dans un de ses derniers articles. C’est en effet la situation dans ce pays qui provoque aujourd’hui le plus d’inquiétudes à Washington et dans les capitales occidentales. Les tout derniers coups de théâtre électoraux ainsi que la progression de la résistance anticoloniale ne calment certainement pas le jeu. Selon le rapport du général Stanley McChrystal, à la tête des forces de la coalition en Afghanistan, plus des trois quarts du pays sont contrôlés par ce que les analystes appellent « les Talibans », mais qui sont en fait bien plus largement des résistants à l’occupation impérialiste. Si 294 soldats de la coalition étaient tombés en 2008, plus de 400 qui sont rentrés chez eux avec un body bag pour tout linceul depuis le début de cette année. La situation de la coalition est suffisamment catastrophique sur le plan militaire pour que le Haut commandement américain soit exceptionnellement sorti de sa réserve en octobre, réclamant le déploiement de 40 000 hommes supplémentaires qui viendraient s’ajouter aux 34 000 qu’Obama a envoyés en Afghanistan depuis le début de son mandat.

En l’absence d’un véritable tournant, Mc Chrystall n’exclut pas l’éventualité d’une défaite militaire pour la coalition. C’est déjà une réalité d’ailleurs selon Zbigniew Brzezinski. C’est ce qu’a déclaré mi-septembre en Suisse devant un parterre de militaires et de diplomates européens l’ancien conseiller à la sécurité sous la présidence Carter et fin connaisseur du pays puisqu’il avait armé les premiers détachements de Moudjahidines à la suite de l’intervention de l’URSS en 1979 : « Malgré la présence de plus de 100 000 soldats étasuniens et de l’OTAN l’occupation est en situation d’échec face à une population toujours plus hostile qui nous voit comme des envahisseurs, comme c’est arrivé à l’URSS dans les années 1980. » (Propos cités par The Washington Post, 13 septembre.) Comme au temps de la pénétration coloniale britannique à la fin du XIXe siècle ou pendant l’occupation russe, c’est le début de l’hiver qui sera le meilleur allié des troupes d’occupation occidentales, la rudesse du climat et la neige impliquant une baisse en intensité des opérations de la guérilla. Cela n’apporte néanmoins aucune solution au problème pour les impérialistes.

Le climat risque d’ailleurs de n’avoir aucun effet sur le jeu politique afghan. Passés les premiers moments de l’ivresse d’une victoire apparente sur le plan militaire avec la chute du régime taliban il y a huit ans, Bush et ses conseillers avaient rapidement déchanté. L’option étasunienne consiste donc, depuis 2004-2005, à vouloir affaiblir le plus possible la résistance pour entamer des négociations avec ce que les analystes appellent les « Talibans modérés ». Cette option semble cependant compromise par l’intransigeance des principales directions de la résistance et des chefs de clan insurgés. Washington peine de surcroît à rétablir au sein de la bourgeoisie afghane collaborationniste, une cohérence des forces pro-occidentales, capable d’offrir au moins formellement l’aspect d’un pays indépendant et d’un gouvernement souverain, condition sine qua non d’un renforcement de la présence militaire, selon Obama. La farce électorale afghane a de ce point de vue démontré clairement les limites de cette stratégie. Hamid Karzaï, l’homme lige des Américains, trafiquant d’héroïne notoire, corrompu patenté, agent de la CIA et employé d’Unocal, la firme pétrolière de l’ancien vice-président Dick Cheney, mais également la clique tout aussi peu présentable qui l’entoure, ont démontré leur incapacité complète à constituer un gouvernement pro-américain stable. Si militairement Karzaï peine à contrôler plus que Kaboul et ses environs, il vient en outre de perdre le peu qu’il lui restait de soutien parmi les Pachtouns, son ethnie d’origine, presque majoritaire dans le pays. Les élections truquées et leurs multiples rebondissements, loin de raffermir la foi des Afghans en la « démocratie made in Occident », ont servi d’accélérateur à ce processus. Le niveau de fraude massive y a été pour quelque chose (3) et le retrait de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Abdullah Abdullah, de la course électorale compromet non seulement l’image du président « réélu », mais également la possibilité de constituer un gouvernement capable d’afficher le minimum de légitimité dont ont besoin les impérialistes pour la poursuite de leur sale guerre coloniale. Comme le souligne Patrick Cockburn dans Counterpunch le 3 novembre, « un engagement supérieur des États-Unis va signifier, "grâce" aux élections, un affaiblissement du gouvernement Karzaï. Cela voudra dire que ce seront les Américains et non pas les Afghans qui prendront les décisions militaires et politiques les plus importantes pour le pays. Pour les Afghans en général, cela signifiera que la présence étrangère ressemblera toujours plus à une occupation impériale. »

La résistance pour sa part dispose de réserves suffisantes pour tenir en échec les troupes d’occupation, et ce indirectement en raison de la politique passée et présente des Occidentaux. Si le soutien de ceux-ci à Karzaï provoque un renforcement du consensus dont jouissent les différents secteurs de la résistance, il suffit de se baisser et de fouiller le sol pour s’armer. Les opérations les plus meurtrières lancées contre les troupes d’occupation sont réalisées à partir d’explosifs provenant de mines anti-char. En dépit des accusations lancées par le gouvernement américain contre l’Iran, accusé de livrer des mines à la résistance, ces dernières ne sont, pour la plupart, que des mines Tc-6 de fabrication italienne, livrées par les États-Unis et leurs alliés par dizaines de milliers aux djihadistes et autres « combattants de la liberté » à l’époque de l’occupation par l’URSS. Si seulement 20 000 d’entre elles ont été désamorcées depuis 1989 selon les Nations Unies, les experts ne savent pas si c’est en dizaines ou en centaine de milliers qu’il faut chiffrer les mines encore enfouies dans le sol afghan depuis cette période.

Dans un article publié dans l’hebdomadaire égyptien Al-Ahram Weekly le 4 juin dernier à l’occasion des cent premiers jours de présidence Obama, Hamid Dabashi notait déjà que « le monde n’avait pas à attendre la décision [du président américain de faire machine arrière sur ses promesses concernant Guantanamo et les tribunaux spéciaux militaires] pour réaliser qu’Obama était le nouveau visage de l’impérialisme américain. Sa stratégie pour l’Afghanistan et le Pakistan (…) s’est avérée beaucoup plus meurtrière [en l’espace de trois mois] que tout ce qu’avait fait jusqu’à présent George Bush. Avec toute sa stupidité prétentieuse, Bush était trop occupé par le dossier irakien pour commettre d’autres folies en Afghanistan. Ce n’est pas le cas d’Obama. Sans s’être désengagé d’Irak, il se déploie progressivement en Afghanistan. Mais si l’Irak a été le bourbier de Bush, l’Afghanistan et le Pakistan seront l’enfer d’Obama. (…) La combinaison incandescente des dossiers afghan et pakistanais signifiera la ruine d’Obama, comme l’Irak l’a été pour Bush. »

Affiches Karzai
Affiches électorales de Hamid Karzaï dans les rues de Kaboul

Le Pakistan en proie à un chaos grandissant

La situation au Pakistan s’est dans le même temps considérablement dégradée. Ce pays de 180 millions d’habitants, détenteur de l’arme nucléaire, vit une guerre larvée au sein de la classe dominante entre pro-américains et islamo-nationalistes. Ces derniers contrôlent une bonne partie de l’appareil de sécurité et de l’armée. Ils refusent un alignement systématique sur Washington et cherchent à affermir le rôle du pays en tant que puissance régionale, notamment vis-à-vis du frère ennemi historique, l’Inde. Les différents secteurs qu’a appuyés sans retenue jusqu’à présent Washington, celui de Pervez Musharraf avec son gouvernement militaire tout d’abord (entre 1999 et 2008), et à présent celui du veuf de Benazir Bhutto, Asif Ali Zardari (Parti du Peuple Pakistanais), se sont révélés incapables de rétablir un semblant d’ordre et de freiner la spirale de violence dans laquelle plonge le pays.

Les opérations militaires lancées par l’armée au Nord dans la vallée de Swat en avril et mai 2009, puis à l’Ouest dans les zones tribales du Waziristan, officiellement pour décapiter les mouvements islamistes armés et couper les Talibans de leurs bases arrière, ne font qu’aggraver la situation. Le coût militaire de ces opérations s’est révélé extrêmement élevé : en dépit d’un déploiement de force très important contre les insurgés (plus de 28 000 hommes) et d’un appui aérien des Américains, l’armée pakistanaise n’a pas réussi à écraser ce qu’elle appelle les « milices tribales ». Les mouvements islamistes armés, pour leur part, continuent à frapper villes et garnisons de l’armée comme cela a été le cas à Rawalpindi, principale concentration militaire du pays, le 10 octobre. Les déplacements de populations jetées sur les routes afin de fuir les zones de combat, les exactions de l’armée pakistanaise et les bombardements à l’aveugle de l’aviation américaine, auxquels collabore l’aviation française, contribuent un peu plus à tendre les équilibres ethniques du pays, sur fond de grave crise économique.

L’efficacité toute relative des offensives de l’armée met en lumière enfin les divisions existant au sein des classes dominantes pakistanaises ainsi que la puissance des secteurs regroupés sous la houlette des services secrets, l’ISI, qui refusent l’allégeance pure et simple aux États-Unis et s’appuient indirectement sur les mouvements islamistes qu’ils contrôlent en partie. Sur ce dernier point d’ailleurs Washington ne fait que payer, avec trente ans de retard, la facture de sa politique dans la région. L’ISI et les mouvements islamistes pakistanais se sont renforcés sous la présidence du général putschiste Zia-ul-Haq, arrivé au pouvoir en 1977 afin de briser l’ascension du mouvement social pakistanais qui gagnait en vigueur dans les campagnes, dans les usines et sur les campus, à partir de la fin des années 1960. La situation économique catastrophique du pays et l’extrême inégalité qui règne dans les campagnes, en partie liée à la domination de la grande propriété terrienne, condamnant les paysans à la misère, ne font que qu’alimenter des mouvements islamistes dont Washington comme le gouvernement central ont perdu le contrôle depuis bien longtemps.

En dépit de l’appui financier et du soutien militaire dont jouit Islamabad, il est peu probable que le gouvernement de Zardari soit capable de stabiliser à court terme la situation (4). Certains analystes estiment que les jours de celui qu’Hamid Dabashi appelle « l’infâme escroc » sont comptés. En tout état de cause, une aggravation de la situation pakistanaise rendrait encore plus difficile la tâche des impérialistes en Afghanistan et pourrait avoir des répercussions incalculables pour l’assise étasunienne. Le paradoxe est sans doute que Washington, à l’heure actuelle, est incapable de s’engager davantage directement, liant son sort, comme en Afghanistan, à un gouvernement allié des plus branlants. Cela n’empêche pas Joe Biden, vice-président d’Obama, de réclamer à cor et à cris un rééquilibrage des forces militaires de l’Afghanistan voisin vers le Pakistan, malgré l’opposition ouverte manifestée par le plus haut gradé de l’Armée américaine, le général David Petraeus, chef du CentCom, Commandement Central étasunien, qui pour sa part appuie les demandes pressantes de McChrystall pour des renforts en Afghanistan. Il se trouve cependant qu’à moins d’envisager un improbable engagement bien supérieur des alliés des États-Unis ou le rétablissement du service militaire et l’envoi du contingent, comme pendant le Vietnam, la capacité d’intervention militaire extérieure des États-Unis est arrivée à saturation.

À l’Ouest rien de nouveau : le bourbier irakien, loin des fausses promesses d’Obama et de la « une » des journaux

C’est en ce sens que Thomas Friedman souligne ironiquement dans un article du New York Times du 14 octobre que, « si Obama réussissait à trouver une manière d’établir un équilibre entre un nombre précis de troupes capables de stabiliser l’Afghanistan et le Pakistan [en les prélevant sur celles encore stationnées en Irak] sans entraîner les États-Unis dans un nouveau Vietnam, alors il mériterait le Prix Nobel, mais de Physique cette fois-ci ». Ne faisant plus la une de la presse occidentale, la situation irakienne semblait superficiellement stabilisée par rapport au chaos qui régnait dans de vastes zones du pays, et pas seulement dans le fameux triangle sunnite de l’insurrection, entre 2004 et 2008. Le repli des troupes étasuniennes sur leurs bases à l’extérieur des villes et le passage de relais de la sécurité intérieure aux forces irakiennes dépendant du gouvernement collaborationniste en juillet dernier, semblaient presque faire oublier les heures les plus sombres du bourbier irakien, comme si sur ce dossier-là au moins Washington avait réussi à obtenir un succès en demi-teinte. Pourtant, si les attentats et les actions militaires ont diminué en intensité, ils peuvent reprendre à grande échelle à tout moment. Les attentats de Bagdad de fin octobre sont-là pour le rappeler, comme le fait que le premier ministre Nouri Al-Maliki éprouve les plus grandes difficultés à assurer réellement la sécurité en s’appuyant sur la police et l’armée irakiennes, envisageant même un retour des Américains sur les points les plus chauds.

Les raisons de cette situation sont à chercher là aussi du côté de l’échec de la stratégie américaine sous Bush, poursuivie en fait avec une fidélité presque touchante par Obama au cours des derniers mois, ravalant ses promesses de retrait complet. Il n’y a en Irak ni démocratie ni « nation building », quoi qu’en dise Washington. C’est ce que souligne dans un long article de The Guardian du 25 octobre Sami Ramadini, sociologue irakien exilé à Londres depuis l’époque de Saddam Hussein : « Il est tragique de constater que l’Irak ne revient sur le devant de la scène médiatique que lorsqu’un attentat fait des centaines de tués et de blessés. L’attentant [du 24 octobre à Bagdad], le second de ce type depuis deux mois, est là pour nous rappeler que le peuple irakien continue à payer de son sang l’invasion et l’occupation de leur pays par une coalition menée par les États-Unis. (…)On ne peut que constater la réussite de la nouvelle donne américaine pour l’Irak, consistant à réduire ses propres pertes en poussant toujours plus les forces irakiennes dans le combat contre l’insurrection, plus connue dans le pays sous le nom d’"honorable résistance patriotique" pour la différencier des attaques terroristes à la Al-Qaïda, honnies par la population. Mais essayez de dire aux Irakiens qui ne font pas partie des cercles dirigeants que la situation s’est améliorée depuis le début de l’occupation et ils vous rappelleront non seulement la liste sans fin des morts et des mutilés, mais également le million d’orphelins et de veuves, les deux millions de réfugiés [dans les pays voisins principalement] et les deux millions de déplacés [à l’intérieur de l’Irak]. Ils vous parleront (…) du manque d’eau potable, d’essence et d’électricité, de la détérioration du système de santé et d’éducation, d’un taux de chômage de plus de 50%, (…) des tortures utilisées contre des dizaines de milliers de prisonniers dans les geôles irakiennes et américaines. (…) Ce dont les stratèges américains ne se sont pas encore rendu compte, c’est que le peuple irakien n’acceptera pas de bon gré un régime pro-US à Bagdad et que l’"exit strategy" de Washington débouchera inévitablement sur une occupation à long terme qui signifiera davantage de bains de sang et de destructions. La seule "exit strategy" réaliste pour l’Irak doit commencer par le droit des Irakiens à disposer d’eux-mêmes, libérés de tout intervention américaine. 

Hillary Clinton ne réussit pas à contenter tout le monde à Tel-Aviv, affaiblit Abou Mazen et la gérontocratie égyptienne

Enfin, sur le dossier israélo-palestinien Washington démontre une fois de plus son incapacité à changer stratégiquement l’axe de la politique étrangère américaine pour la région. Malgré les tentatives de détente avec la Syrie et l’Iran, le président et Hillary Clinton viennent d’opérer une véritable volte-face par rapport aux positions électorales d’Obama concernant la solution « deux peuples, deux États » pour Israël et la Palestine, mais également par rapport à son discours au monde arabo-musulman du Caire en juin dernier, lorsque le nouveau président américain avait préconisé le gel de la colonisation.

Il est vrai que, dès les nominations des hommes de confiance d’Obama pour le Proche-Orient, tout pouvait laisser fortement penser qu’il s’agissait là encore de simples discours destinés à masquer la réalité de l’orientation pro-sioniste de Washington : maintien de Robert Gates au Secrétariat d’État à la Défense, poste qu’il occupait déjà sous Bush, nomination de Rahm Emanuel, un proche de l’AIPAC (le puissant lobby israélien aux États-Unis), en tant que chef de cabinet de la Maison Blanche, désignation de Dennis Ross en tant que conseiller spécial d’Hillary Clinton qui avait servi sous Bush père, puis sous Clinton, lui aussi proche de l’AIPAC et prônant des orientations opposées à celles qu’Obama avait affirmé être les siennes durant sa campagne.

Bulldozer
Caricature parue dans le quotidien israélien Haaretz, montrant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu foncer sur Obama avec un bulldozer, sous les yeux impuissants des dirigeants palestiniens et arabes

Lors de son récent voyage en Israël, Hilary Clinton a affirmé que le gel des colonies ne pouvait en aucun cas être un préalable à la reprise des négociations entre Tel-Aviv et l’Autorité Nationale Palestinienne (ANP). Céder sur la question de la colonisation en Cisjordanie face au gouvernement ultra-réactionnaire de Benyamin Netanyahu, affaiblit la direction pro-impérialiste et collaborationniste de Fatah-OLP et de l’ANP. Le président Abou Mazen peut en effet difficilement accepter de revenir à la table des négociations dans de telles conditions sans se discréditer totalement. Il vient d’ailleurs de jouer son va-tout en affirmant qu’il ne se représenterait pas aux élections palestiniennes de janvier 2010, alors qu’il est un des seuls politiciens palestiniens capables de défendre l’idée d’un gouvernement de l’ANP complètement soumis aux desiderata de Washington et de Tel-Aviv. Encore faut-il cependant qu’on lui en laisse la possibilité, sans trop humilier la direction de Fatah-OLP.

« La fin de l’Obamania » : l’éditorial du numéro spécial de l’hebdomadaire libanais Al-Kifah Al-Arabi consacré à l’anniversaire de la victoire d’Obama, montre à quelle vitesse le crédit dont jouissait ce dernier dans le monde arabo-musulman s’est effrité ou encore comment Obama représente désormais, pour reprendre l’expression de Mehdi Hasan pastichant le slogan électoral des démocrates, « le changement auquel on ne peut plus croire », « the change we can’t believe in ». Selon Al-Kifah Al-Arabi, « après dix mois de présidence, l’image de l’Amérique est celle d’un géant essoufflé qui n’est pas capable de gagner les guerres commencées par Bush ni même de représenter un arbitre valable pour la paix dans la région ». La politique actuelle des États-Unis compromet en effet fortement la possibilité concrète de relancer un processus de stabilisation, même seulement bancal, de la région alors que la plupart des dirigeants arabes ont eu à faire face, au cours des derniers mois, à une remontée des luttes ouvrières et populaires, en partie alimentée par la question palestinienne, pouvant menacer l’assise réactionnaire des régimes pro-occidentaux. Le cas de l’Égypte, qui a eu à affronter entre la fin 2008 et début 2009 de nombreux mouvements sociaux, y compris une grève générale, est révélateur. D’où le désespoir du vieil autocrate Hosni Moubarak qui essaie tant bien que mal de préparer sa succession en transmettant le pouvoir à son fils, mais qui n’a pas réussi à trouver une solution au conflit interne entre Fatah-OLP et Hamas et qui se désespère face à l’achoppement du prétendu « processus de paix » entre Palestiniens et Israéliens. Dans un certain sens également, les émeutes dans le quartier populaire de Diar Echems à Alger, durement réprimées par la police de Bouteflikha, montrent que la situation au Maghreb est socialement très délicate. Dans tout le monde arabo-musulman, le refus de présentation par les représentants de l’ANP, dans un premier temps, du rapport Goldstone sur les crimes de l’armée israélienne pendant l’opération « plomb durci », avait provoqué de nombreuses manifestations, forçant les chancelleries arabes à faire pression sur les représentants de l’ANP à Genève pour que le rapport soit finalement inscrit à l’ordre du jour des discussions du Conseil des droits de l’homme de l’ONU mi-octobre. Cela indique combien la question palestinienne continue à représenter un enjeu clef pour le mouvement de masse arabo-musulman et qu’une exacerbation des tensions pourrait relancer la conflictualité de classe dans toute la région.

Les discussions sur le nucléaire iranien, entre pressions israéliennes et impuissance américaine

De ce point de vue, certains diplomates craignent que le soutien sans faille manifesté par Clinton au gouvernement israélien lors de sa dernière visite à Tel-Aviv ne soit mal interprété par Netanyahu. Ce dernier en effet n’écarte pas la possibilité de lancer de manière unilatérale et préventive des frappes sur les installations nucléaires iraniennes ou supposées telles. Cela ne pourrait qu’avoir des répercussions catastrophiques pour la situation internationale, selon les analystes les plus clairvoyants de la bourgeoisie américaine.

L’impasse dans laquelle se trouvent actuellement les discussions avec l’Iran sous couvert de négociations sur le nucléaire confirment à la fois les limites de la politique américaine et sa continuité avec l’administration précédente. Obama est parfaitement conscient que, dans la situation actuelle, en raison de la saturation du déploiement militaire américain à l’étranger et compte tenu de la situation régionale, une confrontation militaire même partielle et limitée avec Téhéran est exclue. Washington ne peut pas non plus se passer du soutien de Téhéran sur la question afghane comme pour éviter que l’Irak ne replonge dans le chaos des dernières années, compte tenu du rôle déterminant de l’Iran sur sa frontière Est et de son influence politique sur la majorité chiite irakienne. L’administration Bush en était consciente en dépit de ses discours va-t-en-guerre et Obama ne fait que prolonger pragmatiquement cette orientation. Mais si les discours extrêmement durs de son prédécesseur n’avaient pas vraiment réussi à infléchir la ligne d’Ahmadinejad, les ouvertures spectaculaires opérées par Obama lors de son discours télévisé à l’occasion du Nouvel An perse, le 21 mars, n’ont pas non plus donné de résultats probants quant à un changement d’attitude de Téhéran. Reste donc à savoir quels pourraient être les moyens de pression non militaires auxquels pourraient avoir recours les États-Unis afin de peser sur le régime iranien qui, par ses caractéristiques depuis plus de trente ans, continue à représenter une épine dans le flanc des impérialistes. Néanmoins, sur ce dossier comme sur les autres, Obama ne veut ni ne peut s’engager sans impliquer également ses partenaires (et concurrents) européens.

Les rapports impérialistes transatlantiques

Les tensions inter-impérialistes qui étaient apparues au grand jour en 2003 lors de la préparation de l’offensive contre l’Irak se sont largement atténuées depuis. Même si sur le fond les sujets de discordes sont sans doute plus importants qu’avant, ils restent prudemment cantonnés aux coulisses géostratégiques et économiques et sont aujourd’hui moins directement visibles. Les Européens avaient salué eux aussi l’élection d’Obama, en raison notamment de son discours davantage inclusif à leur égard et beaucoup plus multilatéral que celui de Bush. Restait néanmoins à savoir ce que « multilatéralisme » voulait dire, car aucun des pays européens n’était fortement enthousiasmé à l’idée que la nouvelle donne américaine signifie surtout de s’engager davantage aux côtés de Washington sur les théâtres de guerre, en assumant les coûts sans pour autant en toucher les bénéfices. Mais l’approfondissement de la crise économique et le grand retour sur le devant de la scène des États en termes de politique économique interventionniste ont remisé les vœux pieux d’une plus grande collaboration transatlantique. Les États-Unis tentent de modifier formellement le réseau décisionnel international (G-20, rapports bilatéraux directs avec la Chine, etc.) afin d’être mieux à même de défendre leurs intérêts, au détriment de leurs partenaires et concurrents européens, tout en négociant avec les puissances régionales, comme la Chine et la Russie, afin de desserrer l’accumulation de pression qui pèse sur eux. C’est en ce sens qu’il faut lire le recul d’Obama sur la question du bouclier anti-missile américain en Europe de l’Est pour essayer de froisser le moins possible Moscou.

Du point de vue de l’Union Européenne, un récent rapport de l’European Council on Foreign Relations a souligné la relation faussée et subalterne qu’entretiendraient les puissances européennes avec les États-Unis. Mais, quoi qu’en dise le rapport, c’est surtout la mésentente existant entre les puissances impérialistes européennes qui est la cause de cette soumission, et plus particulièrement l’absence de stratégie commune sur le long terme entre Paris et Berlin. Il est peu probable de ce point de vue que l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne réussisse à renverser la donne, malgré la nomination d’un président (a priori falot) de l’UE, épaulé par un ministre des Affaires étrangères. Si cette désunion de fait empêche les impérialistes européens d’agir de concert en défense de leurs intérêts communs face aux États-Unis les sujets de dissensions ne manquent pas avec Washington. Si l’on prend le cas de Sarkozy, qui passe aux yeux de la gauche et de certains analystes français pour être pro-américain convaincu (encore faudrait-il faire la différence en analyse politique entre le style du président français et le fond de sa politique), les piques et les échanges d’impolitesse n’ont pas manqué ces derniers mois. Alors que Paris renforce sa coopération militaire avec le Brésil, par delà la vente des Rafale, Washington intervient directement dans la chasse gardée française en Afrique en renforçant ses liens avec l’armée malienne. La France, sans pour autant réussir à coordonner son orientation avec celles de ses partenaires de l’UE, a été fortement réticente à l’idée de seconder les desiderata américains quant au dossier afghan. D’autre part, le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, loin de marquer une inféodation nouvelle de Paris à l’égard de Washington, est le prix que l’Élysée consent à payer pour mieux déployer ses initiatives sur d’autres terrains diplomatiques, géostratégiques (sur la question des rapports entre les pays impérialistes européens et leur arrière-cour à l’Est ou sur le pourtour de la Méditerranée avec l’Union pour la Méditerranée de Sarkozy) ou même sur le plan militaire, avec la volonté manifeste de renforcer l’actuelle Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD), ainsi que l’embryon d’armée européenne (Eurokorps). En tout état de cause, en dépit de la belle unité affichée lors du dernier sommet de l’OTAN de Strasbourg, les sujets de discordes ne manqueront pas de se multiplier à l’avenir, et plus encore si les difficultés croissent sur le front proche et moyen-oriental ou afghano-pakistanais. Ce pourrait être également le cas si les tendances à une reprise économique partielle, loin d’être uniforme dans tous les pays impérialistes, poussaient certains à développer des logiques de compétition plus ouvertes avec les autres.

« The change we (really) need »

L’instabilité de la situation géopolitique mondiale a continué à s’aggraver au cours des derniers mois. Comme le note le journaliste britannique spécialiste du Proche et Moyen-Orient Patrick Seal dans un de ses derniers papiers pour agenceglobal.com, « le monde a rarement été aussi ingouvernable qu’il ne l’est aujourd’hui ». Obama s’est révélé beaucoup moins adroit que prévu pour affronter ces contradictions, contraint de suivre toujours plus ouvertement le chemin tracé par son prédécesseur. Cela ne tient pas à un problème de personne, mais à une situation objective. Les beaux discours du nouveau président américain ont fait leur effet pendant un certain temps, mais face à la réalité concrète l’administration américaine a très pragmatiquement dû reprendre les bonnes vieilles méthodes de l’impérialisme états-unien.

Suivant la pente descendante de ces dernières années, l’hégémonie américaine continue à décliner sans pour autant que parallèlement une autre puissance réussisse pour l’instant à se poser en alternative. Mais les brèches et les tensions de la situation internationale ne représentent pas simplement, pour le mouvement ouvrier et populaire du monde semi-colonial et les résistances armées des pays périphériques occupés, une occasion de secouer le joug impérialiste, qu’il soit états-unien ou européen, et plus particulièrement, en ce qui nous concerne, français, en Afghanistan, en Afrique Noire, au Maghreb ou au Liban. Cela représente également une occasion, pour les avant-gardes du mouvement ouvrier et de la jeunesse aux États-Unis mêmes, d’opérer un nécessaire retour sur le devant de la scène après plus d’un quart de siècle de féroce offensive bourgeoise que les travailleurs américains paient aujourd’hui non plus seulement en termes de dégradation constante de leurs conditions de travail et de vie, mais par le chômage de masse et les expulsions massives de leurs logements. Dans un récent article de Counterpunch au titre éloquent : « La république des fous. L’Empire du Mal », Paul Craig Roberts, ancien assistant au Secrétariat au Trésor sous l’administration Reagan, prédit qu’« à la place de l’assurance santé, les Américains auront droit à plus de profits pour les compagnies privées d’assurance et qu’à la place de la paix ils auront droit à plus de guerre ». Dans un pays où, selon certains sondages, moins de la moitié de l’« opinion publique » continue à soutenir l’engagement en Afghanistan, c’est l’heure où le mouvement anti-guerre américain, après des mois d’atonie liée aux illusions suscitées par l’élection d’Obama, pourrait émerger à nouveau. Il pourrait le faire avec d’autant plus de force s’il est capable, comme cela avait commencé à avoir lieu dans les années 1960 et 1970, de tirer toutes les conclusions de ce que représentent le Parti Démocrate américain et ses relais, tant au sein de la jeunesse que du mouvement ouvrier. De ce point de vue, il est très important que les ouvriers de Ford, organisés au sein du syndicat américain de l’automobile UAW, viennent de rejeter massivement l’énième accord bidon entre la multinationale et la bureaucratie syndicale, qui prévoyait notamment une trêve sociale jusqu’en 2015, un gel des salaires et des embauches dans des conditions inférieures à celles qui prévalent aujourd’hui. Si ces deux tendances venaient à confluer, ce qui ne s’est pas produit sous la présidence Bush malgré la montée en force du mouvement anti-guerre et du mouvement pour les droits civiques des travailleurs hispaniques en 2006, alors peut-être le mouvement ouvrier et populaire états-unien pourrait-il réellement commencer à porter un projet de changement. Réel cette fois-ci, c’est-à-dire prolétarien et anticapitaliste. Les travailleurs de tous les pays et les peuples dominés en ont besoin.


1) Voir sur ce point l’article de Claudia Cinatti, « Obama, candidato del ‘cambio’ y presidente e la continuidad » dans la revue de la Fraction Trotskyste-Stratégie internationale (FTQI, avec laquelle la Tendance CLAIRE du NPA est en discussion), Estrategia Internacional n° 25, Buenos Aires, décembre 2008-janvier 2009, p.81-103, également disponible sur www.ft-ci.org/IMG/pdf/03_EEUU.pdf

2) Dans un des articles consacrés au débat sur la réforme du système de santé d’Obama publiés dans le numéro de novembre de Z Magazine, le journaliste free-lance proche de la gauche du Parti Démocrate Roger Bybee souligne que « les seules propositions réellement intéressantes consisteraient en un élargissement de l’assiette des bénéficiaires de Medicaid [l’assurance sociale publique destinée aux personnes à très faibles revenus aux États-Unis] ainsi qu’à la mise en place de davantage de centres de soins dans les quartiers. Quant à la question d’une couverture médicale pour tous, d’une indépendance réelle de l’assurance publique par rapport aux assureurs privés, d’une assistance sociale bon marché ? Pour l’instant ces droits (qui sont des droits fondamentaux dans les autres pays avancés) continueront à faire partie du rêve américain… d’un rêve différé cependant. »

3) La Commission électorale afghane (EEC) a annulé dans un premier temps prés d’un million de voix qui avaient été attribuées à Karzaï. Selon l’EEC, dans 92 bureaux de vote, soit prés d’un tiers de l’échantillon étudié, les bulletins de vote avaient été remplis par la même personne. Dans 41 bureaux, aucun des bulletins n’était plié en deux, de manière à pouvoir entrer dans les urnes. Dans plus de 30 bureaux, la totalité des bulletins avait été attribuée à un seul et même candidat…

4) Le Congrès américain vient de voter une aide supplémentaire de 7,5 milliards de dollars au Pakistan pour les cinq prochaines années. Pointant du doigt les incohérences des opérations militaires, l’hebdomadaire britannique The Economist du 15 octobre souligne que, « pour des raisons de sécurité, les Nations Unis sont absentes des zones de combat et l’armée empêche les ONG locales de fournir de l’aide alimentaire aux réfugiés meshud [un des clans visés par l’offensive] de peur qu’elle ne finisse aux mains des Talibans. (…) La stratégie [employée par l’armée pakistanaise, consistant à jouer sur les rivalités claniques] est similaire à celles des Britanniques dans le passé, qui ont d’ailleurs été elles aussi bien incapables de pacifier le Sud-Waziristan. »

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