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Turquie : la marche à la guerre

Les masques tombent. Finalement le maintien du HDP[1] au parlement par ces élections ne servit en rien à faire barrage à la politique autoritaire d'Erdogan. Ces élections étaient là pour légitimer un coup d’État institutionnel dont les véritables objectifs de l'AKP[2] étaient la marche à la guerre contre les minorités et le sacre du sultan avec la complaisance des autorités du monde entier.

Des élections truquées

Dans de nombreux médias, on nous a parlé de ces élections comme si elles étaient libres et légitimes, même si quelques critiques étaient parfois formulées. Pourtant, qu'en est-il quand le parti au pouvoir contrôle la majeure partie des médias télévisuels ? Les téléspectateurs ont eu des overdoses d'AKP. Rien que sur la chaîne TRT, grande chaîne de télévision publique turque, Erdogan a eu le droit en octobre à 29 heures de télévision à lui tout seul, son parti l'AKP 30 heures, le CHP d'obédience kémaliste (nationaliste de « centre gauche ») 5 heures, le MHP (mouvement fasciste lié aux loups gris) 1h10 et le HDP 18 minutes[3].

Que faites-vous si vous êtes Erdogan ? Si certaines chaînes ne vous accordent pas les temps d'antenne que vous jugez nécessaire, vous en prenez tout simplement le contrôle en envoyant votre police faire le travail. C'est ce qui est arrivé aux chaînes Bugün TV et Kanaltürk trois jours avant les élections. Mais cela ne suffit pas. Il était également important qu'auparavant vous attentiez des procès à de grands directeurs de journaux nationaux, que vous fermiez des centaines de blogs et de sites internet dans la foulée de votre défaite électorale du 7 juin. Sans oublier que vous devez impérativement intenter des procès pour terrorisme à vos adversaires politiques du HDP et menacer ses électeurs d'une catastrophe s’il ne respecte pas les consignes de votes.

Mais cela ne suffit toujours pas. Non content que le MIT, les services secrets turcs, soutiennent Daech en lui livrant armes et assistance médicale[4], vous faites faire des attentats au nom de Daech. Les attentats de Suruç et d'Ankara qui ont fait bien plus de 100 morts à eux deux... n'ont jamais été revendiqués par Daech. Étrange de la part d'une organisation qui vante ses massacres à tout-va, n'hésitant pas à filmer ses boucheries. Peu importe, la « justice » conclura qu'il s'agit de Daech tout en interdisant l'accès aux dossiers mis au secret et vous en profiterez pour évoquer vos fantasmes d'alliance entre le PKK et Daech dans les attentats d'Ankara, comme la défendu Erdogan.[5]

En si bon chemin, pourquoi s’arrêter là ? Bien entendu, il y a toujours des irréductibles qui ne souhaitent toujours pas vous soutenir alors que la situation l'exige. Alors, pour le bouquet final, vous organisez la fraude de façon massive. Les voix fleurissent par miracle dans des centaines de bureaux de votes. Ah, la magie des élections, le dépouillement accéléré et bâclé dans lequel on a le loisir de voir augmenter ces voix plus qu'il n'y a d'électeurs inscrits et où vos partisans emmènent parfois les urnes chez eux[6]. C'est ainsi que vous défiez les prédictions de tous les sondages !

Vous croyez que c'est fini ? Qui va protester contre la fraude ? Personne puisque le CHP a fait de même que l'AKP depuis des années. Sa longue expérience du pouvoir turc lui a donné les billes pour connaître les « bonnes pratiques » dont il était déjà coutumier avant l'AKP. Le MHP est aussi attaché à la démocratie qu'un parti fasciste, et le HDP se retrouve seul sans véritable moyen de riposter dans cette vaste mascarade électorale. Ajouter à cela le soutien à d'Erdogan de toutes les puissances occidentales et le compte y est !

Après ce petit marathon de manipulation électorale, autant dire que le maintien du HDP avec un peu plus de 10 % des voix, ce qui lui permet de se maintenir au parlement, tient littéralement du miracle.

Les enjeux pour le pouvoir turc

Le résultat de ces élections fut le spectacle d'un raz-de-marée électoral qui offrit 49,48 % des voix à l'AKP, lui assurant une large majorité absolue au parlement. Autant dire qu’Erdogan jouait gros pour avoir mené cette logique de fuite en avant pour obtenir ce score. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, son besoin de victoire ne se résume pas à sa mégalomanie d'hyper-présidentialisation, qui équivaudrait à un sultanat électif. Les enjeux étaient bien plus considérables.

La situation de la Turquie est du point de vue du pouvoir catastrophique.

Les indicateurs économiques sont dans le rouge. Après une croissance de près de 8-9% entre 2002 et 2011, l'économie a fortement ralenti. La croissance est autour de 2%, insuffisante pour absorber l'arrivée des jeunes sur le marché du travail. Le taux de chômage officiel dépasse désormais les 10%. Le déficit commercial est structurellement important, et il est de plus en plus financé par des investissements volatils, et de moins en moins par des investissements directs.

Depuis juin, le Kurdistan est dans une situation insurrectionnelle où des assemblées populaires émergent dans de nombreuses villes sur le modèle du Rojava. Les attentats d'Ankara ont été suivis de deux jours de grèves générales, autant dire que beaucoup d'ouvriers ont pointé du doigt la responsabilité directe du gouvernement dans ces attaques. Des soulèvements populaires se sont produits dans les quartiers kurdes et alévis d'Ankara et d'Istanbul. Ou encore des enterrements de soldats dans des quartiers pro-AKP qui virent au drame avec l'éviction à coup de jets de pierres du ministre de la santé de l'AKP. L'armée avance à reculons dans la guerre qu'on lui a demandé de reouvrir contre le PKK. De nombreux officiers se sont ouvertement plaints de la reprise de la guerre et le chef d’État-major a été limogé et remplacer par un béni oui-oui atlantiste. Les rapports sont de plus en plus conflictuels avec les puissances occidentales depuis que le gouvernement turc rechigne à réprimer Daech sur son sol et à le bombarder en Syrie. Pour d'autres raisons, les Occidentaux ne peuvent aller à l'affrontement direct contre le PKK au risque de frapper la seule organisation qui enregistre de véritables succès sur le terrain militaire contre Daech. Le meilleur allié du gouvernement turc dans la région, Barzani le président du gouvernement autonome du Kurdistan irakien, est en difficulté face à la montée d'un mouvement populaire et institutionnel contre son maintien au pouvoir. De plus, une révolution menée dans le nord syrien (Rojava) par des Kurdes affiliés au PKK est en train d'enregistrer victoires sur victoires et de prendre le contrôle de tout ce qui se trouve de l'autre côté de la frontière Sud. En juin, les élections ont été perdues par l'AKP, délégitimant sa politique et voyant le mouvement kurde arrivé en force au parlement.

Vus de cette façon, l'AKP et Erdogan font beaucoup moins peur et les nouvelles sont plutôt encourageantes pour ceux qui rêvent de révolution. Donc le véritable enjeu pour Erdogan et son parti est simple : ne pas perdre la face. En réalité, Erdogan et les classes au pouvoir jouent leur survie. Le moyen qu'ils ont trouvé pour se sauver est simple et efficace : polariser la société, créer un « eux » et un « nous » pour opposer les identités, créer un ennemi intérieur et extérieur.

Erdogan a ordonné à sa police de réprimer tous ceux qui n'étaient pas identifiés comme turc, sunnite, homme, hétérosexuel et favorable au pouvoir. Il a envoyé ses partisans mains dans la main avec ceux du MHP, telles des hordes fascistes, attaquer les locaux du HDP, tenu pour responsable de la situation. Il a rétabli les vieilles traditions turques des années 1990 quand des villages entiers étaient livrés aux pillages de soldats enragés et où le meurtre d'enfants était monnaie courante. Il a lancé offensives meurtrières sur offensives meurtrières contre les lignes de front du PKK. Ainsi, il a obligé tous les citoyens de Turquie de choisir entre le « eux », c'est à dire les terroristes, et le « nous » c'est à dire lui, l'AKP et tous ceux prêts à maintenir l'ordre établi. Les élections de novembre n'étaient qu'une vaste farce pour légitimer le véritable projet des classes aux pouvoirs : la marche à la guerre contre l’insurrection qui balaye le Kurdistan et qui menace aujourd'hui la Turquie toute entière.

Les enjeux pour le mouvement kurde et révolutionnaire en Turquie

Les enjeux pour ceux qui veulent lutter contre l'AKP et son gouvernement illégitime se concentrent sur la stratégie pour mener à bien une possible révolution dans tout le Moyen-Orient. Pour cela, une articulation est nécessaire pour fédérer les résistances au mouvement contre insurrectionnel en Turquie.

- La défense inconditionnelle du Rojava. Sans ce bout de terre dont l'existence ne tient qu'a un fil, toute la crise que connaît aujourd'hui la Turquie ainsi que le Kurdistan d'Irak aurait une allure bien différente. C'est parce que la révolution du Rojava constitue un exemple dans tout le Moyen-Orient que la réaction du pouvoir turc a été aussi violente.

- La défense de la paix comme horizon prioritaire. Le mouvement kurde ne s'est jamais renforcé autant que pendant la dernière trêve entre le gouvernement turc et le PKK. Ce n'est pas qu'une question d'ordre moral : la paix en Turquie protège le Rojava et permet une polarisation moins forte de la vie politique, permettant à son tour une atmosphère plus propice aux débats d'idées. De plus ce mot d'ordre parle à une parti de l'armée, toujours composée en grande partie de conscrits, qui aujourd'hui ne désirent pas se battre.

- La jonction indispensable entre les insurrections en cours au Kurdistan de Turquie et le Rojava. Les deux mouvements sont intimement liés, les frontières doivent tomber pour que les frères et sœurs kurdes de Turquie et de Syrie puissent s'unir librement dans leur combat contre Daech et pour une démocratie radicale.

- La jonction entre les différentes composantes opprimées de la société comme les minorités religieuses et ethniques, les femmes, les mouvements LGBT. Cette jonction est en grande partie accomplie comme l'a montré la politique du HDP.

- La jonction entre le mouvement insurrectionnel au Kurdistan Nord[7] et le reste de la Turquie. Et c'est là le point central qui, à mon avis, va décider de la suite des événements. Si le prolétariat turc entre en opposition frontale avec le pouvoir alors tout est perdu pour l'AKP. La jonction est possible, comme l'a montré les deux jours de grèves générales qui ont suivi les attentats d'Ankara contre le HDP. La résistance à la politique de l'AKP passe aussi bien par les usines de textile d'Istanbul que par les paysans du Kurdistan Nord. La crise économique qui s'installe en Turquie pourrait devenir le terreau favorable à une insurrection urbaine turc.

- Poursuivre avec toujours autant de vigueur la campagne pour la libération d'Öcalan, leader du PKK, et réitérer la demande de retirer le PKK de la liste des organisations terroristes. En l'articulant avec son rôle central dans la lutte contre Daech.

A bas la Guerre !

Vive le Rojava !

Vive la révolution !


[1]    Parti Démocratique des Peuples, parti pro-kurde et progressiste

[2]    Parti de la justice et du développement, religieux et conservateur au pouvoir depuis 13 ans

[3]    http://abonnes.lemonde.fr/europe/article/2015/11/02/turquie-m-erdogan-retrouve-sa-majorite-absolue-au-parlement_4801062_3214.html

[4]    http://fr.danielpipes.org/14494/turquie-soutient-eiil

[5]    http://www.parismatch.com/Actu/International/En-images/Le-Premier-ministre-turc-accuse-le-PKK-et-Daech-845657

[6]    http://www.kedistan.net/2015/11/02/fraude-electorale-petit-florilege/

[7]             La partie du Kurdistan se situant en Turquie

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