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L’Eglise ne tourne plus le dos au FN

Lien publiée le 28 août 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Le Monde) Le diocèse du Var invite Marion Maréchal-Le Pen à débattre, signe d'un tournant vis-à-vis de l'extrême droite

Des catholiques ont décidé de rompre avec la stratégie de " cordon sanitaire " autour du Front national observée jusqu'ici par l'Eglise. Pour la première fois, des représentants d'un diocèse ont invité un élu du parti d'extrême droite à participer à un débat qu'ils organisent. Comme l'a révélé l'hebdomadaire La Vie, le 21  août, Marion Maréchal-Le Pen, députée du Vaucluse, participera à une table ronde samedi 29  août, au terme des universités d'été de la Sainte-Baume, dans le Var, aux côtés de Valérie Boyer, députée (Les Républicains) des Bouches-du-Rhône, et de Simon Renucci, ancien député (divers gauche) de Corse-du-Sud et ancien maire d'Ajaccio.

Cette manifestation, destinée à former de jeunes chrétiens désireux de s'engager dans la vie publique et qui en est à sa cinquième édition, est organisée par l'Observatoire sociopolitique (OSP), fondé en  2005 par l'évêque de Fréjus-Toulon, Dominique Rey. Du 27 au 29  août, les participants réfléchiront aux rapports entre " médias et vérité ". Traditionnellement, des élus catholiques aux étiquettes variées sont invités à témoigner de leur engagement au dernier jour de cette réunion estivale. Mais jusqu'alors aucun n'avait arboré celle du Front national.

Mgr Rey, qui sera lui-même présent à la table ronde, veut banaliser cette innovation. " Dans la mesure où nous invitons des personnalités aux positionnements différents, à droite et à gauche, nous nous sommes dit : pourquoi pas une personne qui représente beaucoup d'électeurs ? ", explique-t-il. Il observe que les dirigeants du FN " ont un temps de parole sur les chaînes publiques ", que ce parti est représenté aux Parlements français et européen, que les maires des villes varoises de Fréjus (David Rachline, sénateur) et de Cogolin (Marc-Etienne Lansade, un proche de Marion Maréchal-Le Pen) en sont membres, et il en conclut : " Le FN est un parti comme un autre sur l'échiquier politique. Il faut faire preuve de réalisme, ne pas se boucher les yeux et les oreilles. "

Le Var, ancienne terre lepéniste

Il s'agit néanmoins d'une rupture incontestable pour l'Eglise catholique qui, depuis ses dénonciations vigoureuses des positions du Front national émergeant des années 1980 et 1990, s'était gardée d'établir des ponts avec le parti de Jean-Marie Le Pen. Le lieu et les acteurs de cette nouvelle étape ne sont pas anodins. Le Var est l'une des plus anciennes terres du parti lepéniste, qui y a obtenu son meilleur résultat aux élections départementales (38,9  %) et y dispose aujourd'hui d'une solide implantation locale. Marion Maréchal-Le Pen, tête de liste aux élections régionales en Provence-Alpes-Côte d'Azur, affiche sa foi – elle a participé au pèlerinage de Chartres, à la Pentecôte –, sa ferveur pour l'idée d'une France chrétienne et sa proximité avec les positions de l'Eglise sur des sujets importants pour cette institution, comme la famille. La députée avait été jusqu'à défiler contre le mariage pour tous, au contraire de sa tante Marine Le Pen. Bref, elle a, aux yeux de l'Eglise, des vertus que n'avait pas son grand-père Jean-Marie Le Pen.

L'évêque de Fréjus-Toulon, quant à lui, est, avec Marc Aillet, son collègue de Bayonne, l'un des représentants les plus offensifs de ce " catholicisme d'identité " – selon la formule du sociologue des religions Philippe Portier – extrêmement critique du " subjectivisme " et du " relativisme " à l'œuvre selon lui dans la société actuelle, et qui serait la négation de la doctrine sociale de l'Eglise. Ayant su comme peu d'autres dynamiser le tissu ecclésial et militant de son diocèse, ce prélat nommé par Jean Paul II intervient fréquemment dans les controverses sur la bioéthique, la famille ou la vie. Le panel d'invités de l'université d'été porte la marque de ce tropisme identitaire. Y figurent notamment l'ancien président de La Manif pour tous Guillaume de Prémare, délégué général d'Ichtus, un institut catholique traditionaliste aujourd'hui proche du Printemps français, ou encore Thomas Delenda, le créateur du " réseau de prière " Hozana.org.

Mais le profil particulier de l'invitée et de son hôte et la spécificité du terroir ne suffisent pas à expliquer cette rencontre. Organisateur de l'université, le Père Louis-Marie Guitton, responsable de l'Observatoire sociopolitique de Fréjus-Toulon, fait un constat d'obsolescence de la situation actuelle. " Nous étions conscients que nous allions susciter des réactions, admet-il. Mais il y a aussi des chrétiens au FN. Il faut essayer de dialoguer. Aucun parti n'est idéal. Si on dialogue uniquement avec des gens bien, on ne dialogue avec personne. " Il cite le pape François et ses appels aux chrétiens à se rendre dans " les périphéries existentielles ", et ajoute : " Avant, il y avait une diabolisation, on ne dialoguait pas. Maintenant, quand on dit aux jeunes de ne pas s'adresser au FN, ils ne comprennent pas. "

Invitée depuis des mois à cette université d'été, Nathalie Becquart, directrice du Service national pour l'évangélisation des jeunes et pour les vocations de la Conférence des évêques de France (CEF), a découvert avec un malaise évident, lundi 24  août, que la députée du Front national serait présente. " C'est le choix des organisateurs, relève-t-elle. J'assume d'y aller mais je n'y vais pas pour cautionner la présence de Marion Maréchal-Le Pen. " Mais cette religieuse comprend que le " contexte local " varois interroge l'Eglise. " Il est évident que le FN augmente, notamment chez les jeunes, souligne-t-elle. Cela pose des questions. On ne peut pas faire fi de cette réalité politique. On ne peut pas tenir le même discours sur le FN qu'il y a dix  ans. Il ne suffit pas de dire aux gens : le FN, ce n'est pas bien. "

" Intéressant, mais piégeux "

De fait, dans les urnes, on constate depuis quelques années un comportement nouveau des électeurs catholiques. Si, pendant longtemps, une pratique religieuse catholique soutenue était un frein à voter pour le Front national, ce n'est plus le cas aujourd'hui. " Le vote des catholiques pratiquants a rejoint la moyenne nationale. Depuis quatre à cinq ans, il n'y a plus vraiment de cordon sanitaire dans l'électorat catholique ", résume Philippe Portier.

Si elle perçoit l'évolution de ses ouailles à l'égard du Front national, l'Eglise catholique observe aussi du mouvement du côté du parti lepéniste. Paradoxalement, c'est de Vincent Neymon, le directeur de la communication de l'épiscopat français, que vient la remise en cause la plus explicite de la position traditionnelle de l'Eglise. " Les raisons qui ont conduit au blacklistage du FN il y a quinze  ans ne sont plus valables aujourd'hui, affirme-t-il. Le parti change, des gens plus variés le suivent. Les thèses ouvertement xénophobes du FN ne sont plus aussi explicites. Marion Maréchal-Le Pen rassemble des personnes qu'il vaut mieux inviter à débattre. Je trouve ça intéressant, même si c'est piégeux. On n'est plus à l'heure où on pouvait s'arrêter aux principes. Tous les milieux sont touchés, y compris les cathos. Raison de plus d'entrer dans le débat. "

" L'Eglise moins complexée "

Pour le chercheur Philippe Portier, l'invitation de Marion Maréchal-Le Pen à la Sainte-Baume vient couronner une triple évolution : celle d'un Front national post Jean-Marie Le Pen moins dissuasif pour l'épiscopat, la droitisation de l'électorat catholique, mais aussi une Eglise qui, depuis le pontificat de Jean Paul II, a été appelée à " affirmer son identité et à agir ", ce qui l'a conduit à s'impliquer davantage dans la chose publique à partir des années 1990. C'est bien ce que traduit Vincent Neymon en affirmant : " L'Eglise est moins complexée qu'avant par rapport à la chose politique. Elle ose plus entrer dans le débat. Cela rejoint le débat sur la laïcité, sur la place de l'Eglise dans la société. Il n'y a pas de raison que l'Eglise se taise sur le terrain politique si elle a quelque chose à dire. "

L'initiative du diocèse de Fréjus-Toulon pourrait cependant ne pas convenir à tout le monde. Monique Baujard, la directrice du service national famille et société à la CEF, retient ainsi surtout les contradictions persistantes entre la doctrine sociale de l'Eglise et le programme du FN : " Sur les migrants, les musulmans, l'Europe, les prises de position du FN font peu de cas du respect de la vie humaine. Discuter, pourquoi pas, mais mettre Marion Maréchal-Le Pen en avant comme une catho parmi d'autres, ça me gêne. Il est dangereux de faire croire qu'être catho et au FN va de soi. "

Cécile Chambraud