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Décès de Pietro Ingrao à l’âge de 100 ans, figure du PC italien

histoire international Italie

Lien publiée le 3 octobre 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Politis) Résistant et antifasciste, figure tutélaire de tous les progressistes italiens, dirigeant de l’aile gauche du PCI, Pietro Ingrao est mort dimanche à l’âge de cent ans.

Dans son histoire « possible » du Parti communiste italien [1], Lucio Magri, exclu en 1969 pour avoir été parmi les fondateurs du quotidien communiste critique Il Manifesto, se souvient : « Il a suffi d’une phrase et d’une salve d’applaudissements ». Au troisième jour du XIè Congrès du plus grand Parti communiste d’Europe occidentale, à Rome le 27 janvier 1966, Pietro Ingrao, chef de file de l’aile gauche, monte à la tribune. Ses dissensions avec le groupe dirigeant et la ligne officielle sont connues, notamment en ce qui concerne son analyse novatrice (qui s’est révélée exacte) d’un capitalisme italien alors en pleine mutation. Pourtant, toujours inquiet de l’unité du Parti auquel il a adhéré en 1940 sous le joug fasciste, Ingrao prononce une allocution qui vise à la conciliation. Mais se termine par ce constat :

« Chers camarades, je mentirais si je ne disais pas que le camarade Longo [le Secrétaire général] ne m’a pas convaincu en refusant d’introduire dans notre parti la publicité des débats, afin que soient clairs pour tous les camarades, non seulement les orientations et les décisions qui vont prévaloir, mais aussi le processus dialectique dont elles résultent. »

Il s’agit de pouvoir exprimer publiquement des désaccords en dépit du fameux centralisme démocratique. Un sacrilège dans un Parti de la Troisième Internationale.« L’assemblée réagit alors par une longue salve d’applaudissements insistants, et quand, pris par l’émotion, Ingrao à la tribune leva le poing, les applaudissements devinrent une véritable ovation. Mais à la table de la direction, tous restèrent de marbre, les bras ostensiblement immobiles. »

Même s’il devait ensuite être marginalisé au sein du groupe dirigeant, Ingrao incarne désormais une voix particulière au sein du PCI. Une voix qui annonçait en fait 68 et surtout « l’automne chaud » des grandes grèves de 1969, quand de nombreux jeunes ouvriers bousculent les vieilles méthodes syndicales dans un mouvement d’une rare radicalité. Une voix aussi qui permit, contrairement à bien d’autres PC de l’époque, à une partie de la nouvelle génération de venir à lui .

Néanmoins, à la sortie du Congrès de 1966, l’aile gauche paie cher cette insolence. S’il n’est pas pensable d’exclure Ingrao du Bureau politique, il s’y retrouve isolé : ses soutiens, sont éloignés de tous les postes à responsabilité dans le Parti. Les jeunes intellectuels de l’aile gauche (Rossana Rossanda, Luciana Castellina, Lucio Magri, Luigi Pintor, etc.) ne tardent pas à créer leur propre revue (qui devient un quotidien en 1971 grâce à une souscription populaire), Il Manifesto, référence au Manifeste du parti communiste de Marx et Engels. Sans l’autorisation de la direction.

Ingrao, toujours fidèle, malgré tout, au Parti, se résout à ne pas s’opposer à leur exclusion. Mais ne se fait d’ailleurs plus d’illusions sur la possibilité d’une voix diverse au sein du Parti. Quand Rossana Rossanda, encore députée, lui fait lire le premier numéro de la revue, en juin 1969 – où figure un texte de l’opposition interne au PC tchécoslovaque, quelques mois après l’intervention des chars russes à Prague –, il lui dit tout net : « ils vont vous chasser ! » Ce sera chose faite quatre mois plus tard.

Fidèle toute sa vie à l’idée communiste

Pietro Ingrao est demeuré toute sa vie fidèle au PCI et à l’idée communiste, en dépit de ses divergences. Né en 1915 près de Latina au sud de Rome, sa famille, d’origine sicilienne, est plutôt bourgeoise mais anticonformiste. Une attitude sans doute hérité du grand-père, engagé très tôt parmi les Chemises rouges de Garibaldi, qui combattit pour l’unité de l’Italie, risquant plusieurs fois l’emprisonnement et la mort – comme le raconte Pietro dans son autobiographie [2] : Volevo la luna (Je voulais la lune).

Dans les années 1930, sous Mussolini, Ingrao suit des études littéraires et surtout de cinéma. Comme beaucoup de jeunes alors, il est fasciné par ce Septième Art devenu parlant. Et, malgré la censure, ce sont les livres et les films américains de l’époque, en plein New Deal, qui le marquent et l’amènent à l’engagement politique, d’abord antifasciste. « On y voyait les différences de classes, la solidarité au sein de la classe ouvrière, les luttes… » En 1940, il franchit le pas et adhère au Parti communiste, alors interdit. Certains de ses camarades les plus proches sont arrêtés et il entre en clandestinité en 1942, alors que s’annonce la guerre civile : communistes, socialistes et démocrates-chrétiens d’un côté, fascistes alliés aux nazis qui envahissent la péninsule après le débarquement des Alliés en Sicile à l’été 1943, de l’autre.

A la Libération, le Parti communiste devient une organisation de masse, atteignant plus de 2,3 millions de membres à son apogée à la fin des années 1940. Palmiro Togliatti, son Secrétaire général, fait appel aux jeunes intellectuels pour bâtir le « parti nouveau ». Pietro Ingrao est nommé rédacteur-en-chef de L’Unità, chargé d’en faire un « journal populaire ». Le nouveau journaliste colle alors à la ligne. Et s’en voudra toute sa vie d’avoir signé l’éditorial justifiant « pour le socialisme » l’intervention des chars russes à Budapest en 1956.

Après l’échec de ses prises de position au Congrès de 1966, il reste un dirigeant, certes empreint de doutes (notamment vis-à-vis de Moscou), mais attaché à son parti, son unité et l’idée de « préparer une alternative à la normalité capitaliste ». Député de 1948 à 1992, il est désigné par Enrico Berlinguer, Secrétaire général depuis 1972, à la présidence de la Chambre des députés de 1976 à 1979. Des années particulièrement difficiles, en premier lieu pour lui-même, alors que le PCI soutient (sans participation) les gouvernements démocrates-chrétiens au nom du « compromis historique », sur lequel il formait moult réserves. Mais aussi marquées par la violence politique, avec l’enlèvement puis l’exécution d’Aldo Moro par les Brigades rouges en 1978.

Une figure tutélaire de la gauche italienne

Après la chute du Mur de Berlin, la direction du PCI veut abandonner la référence au marxisme et son propre nom. Lors des deux derniers Congrès, Ingrao est de ceux qui s’oppose au changement de nom et à la transformation en un parti social-democrate. Pourtant, par fidélité, il adhère au Parti des démocrates de gauche, mais finit par rejoindre Rifondazione comunista en 1993 (jusqu’en 2008). N’ayant jamais cessé d’écrire, il se tourne vers la poésie durant les dernières décennies de sa vie. Tout en continuant de militer pour la paix et une alternative au capitalisme.

Véritable figure tutélaire de ce qui reste aujourd’hui de la (vraie) gauche italienne, ses interventions étaient toujours fermes et très écoutées. Comme lorsqu’il est ovationné au Forum social européen de Florence en 2003 par des milliers de jeunes dont bon nombre ignore sa trajectoire… Disparu à l’âge de cent ans dimanche 27 septembre, il a « voulu la lune ». Un siècle durant. Une manière de dire qu’il ne se contentait jamais de ce qui était, qu’il fallait s’acharner à espérer et revendiquer toujours plus. Son dernier livre, S’indigner ne suffit pas, avait répondu à distance à un autre homme de sa génération, avec qui il partageait sans doute beaucoup : Stéphane Hessel. L’Italie et la gauche europénne ont à nouveau perdu un de ces derniers grands, forts de l’expérience de la Résistance.

[1] Titre original : Il Sarto di Ulm. Una storia possibile del PCI, éd. Il Saggiatore, 2009

[2] éd. Einaudi, 2006

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(Le Monde) C'est lorsqu'on a vu le premier ministre Matteo Renzi se lever aux premiers accords de Bella Ciao, entraînant à sa suite les plus hauts représentants de l'Etat italien, qu'on a finalement saisi l'importance symbolique de la figure de Pietro Ingrao décédé à l'âge de 100 ans, dimanche 27  septembre. Alors que Giorgio Napolitano, ancien président de la République rythmait l'hymne antifasciste du bout de sa canne, le premier ministre regardait, l'air un peu interloqué, les drapeaux rouges qui s'agitaient devant lui, rouges comme les roses qui recouvraient le cercueil du défunt.

Mercredi 30  septembre, toute la République, les compagnons de route, les amis et les ennemis d'hier, réunis sur le parvis du Palais Montecitorio, siège de l'Assemblée nationale, rendaient hommage au " vecchio compagno ", ce camarade qui, de son engagement dès 1940 dans les rangs du Parti communiste italien – le plus puissant d'Europe occidentale – jusqu'à sa mort, a vécu toutes les péripéties du PCI. Marxiste pur et dur, il incarna l'aile gauche du parti contre son " aile droite ", plus réaliste et adepte de la modernisation. Il prit position contre la révolution hongroise de 1956 et se prononça en faveur de l'expulsion de dissidents dont certains lui étaient proches. Il s'en repentit. Il s'opposa à la dissolution du Parti communiste en  1999 ; il en gardait la nostalgie.

Un homme résolu

Né à Lenola dans la province du Latium, le 30  mars 1915, directeur de l'Unità, le quotidien fondé par Antonio Gramsci, de 1947 à 1957, député de 1950 à 1992, président de la Chambre entre 1976 et 1979, Pietro Ingrao incarna aussi un engagement fait de sérieux et de rigueur dont on ne voit pas toujours la trace dans la politique italienne contemporaine.

Athée mais curieux des mystères de la foi, matérialiste dialectique mais poète, acteur engagé mais souvent impuissant à imposer sa ligne, premier communiste à avoir exercé le mandat de président de l'Assemblée nationale, il était à la fois un homme résolu et un perdant magnifique. Le jour de sa disparition, le chef du gouvernement a rendu hommage à " sa passion, sa sobriété ", à son regard " lucide et malcommode sur le XXe  siècle ". Giorgio Napolitano a évoqué " leur amitié indestructible ". Sergio Mattarella, son successeur au Palais du Quirinal, a parlé de " sa liberté intérieure, exemple pour les jeunes générations "" C'est une époque qui se termine ", déclare Rossana Rossanda, fondatrice du quotidien Il Manifestooù se retrouvèrent de nombreux exclus du PCI.

Devant le Palais Montecitorio, quelques centaines de personnes sont réunies. Une grande banderole " Ciao Pietro " barre le fond de la place. Des drapeaux de Refondation communiste, de la FIOM, la section métallo de la CGIL, le plus puissant des syndicats italiens, et de Syriza flottent. Orphelin du PCI, Pietro Ingrao fut proche par la suite de chacun de ces morceaux de la gauche, aujourd'hui marginalisés et incapables, à son image, de construire une alternative.

Sur la tribune officielle, où ont également pris place les membres de la famille du défunt et les amis comme le cinéaste Ettore Scola, les vainqueurs de l'histoire regardent, en contrebas, le cercueil du vaincu. A quoi pensent-ils ? Matteo Renzi paraît s'ennuyer. Il est en passe d'achever la mutation de la gauche italienne en transformant à marche forcée le Parti démocrate en une formation sociale-libérale. Cette histoire ne le concerne pas. Giorgio Napolitano, partisan de la transformation du PCI en parti de gouvernement a, lui, incarné la métamorphose d'un communiste en homme d'Etat respecté de tous les Italiens ou presque.

Aurelio, un vieux militant romain, a ressorti pour l'occasion un drapeau rouge brodé du marteau et de la faucille. " Il date de 1945 ", dit-il fièrement. Le drapeau a vécu, des jours apparaissent dans la trame de la toile. " Pour comprendre toute cette histoire, il faudrait réfléchir, relire les textes, mais qui a encore le temps ? ", se demande-t-il en l'enroulant autour de sa hampe. Quelques gosiers reprennent une fois encore L'Internationale. Le drapeau est pieusement conservé dans une boîte hermétique. " Des fois qu'il pourrait resservir. "

Pendant ce temps, sous les applaudissements de la petite foule, comme il est d'usage en Italie, un corbillard emporte le cercueil de Pietro Ingroa pour Lenola, sa ville natale. Le " vecchio compagno ", mauvaise conscience des mutations de la gauche italienne, y repose au cimetière municipal.

30 mars 1915 Naissance à Lenola (Italie)

1950-1992 Député

1976-1979 Président de la Chambre des députés

27 septembre 2015 Mort à Rome

Philippe Ridet