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Quatre scores surprenants disent les ressorts du vote Front national

Lien publiée le 28 mai 2014

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) 

Le FN a fini en tête dimanche dans 71 départements. Mediapart s'est intéressé à quatre d'entre eux : la Seine-Saint-Denis, l'Aisne, le Morbihan et le Lot-et-Garonne, où le FN réalise un score soit élevé, soit inattendu.

Dimanche, le Front national a pu se hisser largement en tête (24,85 %) grâce à une surmobilisation de son électorat par rapport à ceux de l’UMP et du PS. Mais pour le chercheur Joël Gombin, spécialiste des électorats du FN et doctorant à l’université de Picardie (CURAPP), cette « mobilisation différentielle » ne suffit pas à expliquer un tel écart avec ses adversaires. Le parti lepéniste termine quatre points devant l’UMP, dix devant le PS, il atteint un peu plus de 11 % des inscrits et plus de deux tiers des voix obtenues lors de la présidentielle 2012.

Selon le chercheur, on assisterait parallèlement à « une dynamique d'approfondissement de la base électorale du FN ». Une plongée dans ses résultats plus locaux permet de conforter cette hypothèse. Dimanche, le parti frontiste est arrivé en tête dans cinq des huit circonscriptions, avec des scores très élevés dans ses zones de force du Nord-Ouest (33,61 %), de l'Est (28,96 %) et du Sud-Est (28,18 %). Il a également réalisé quelques percées dans des régions qui lui étaient traditionnellement plus imperméables (dans l’Ouest, le Sud-Ouest, et en Île-de-France).

Mediapart a épluché quatre cas emblématiques du score du Front national : l’Aisne (Picardie), la Seine-Saint-Denis (Île-de-France), le Morbihan (Bretagne), le Lot-et-Garonne (Aquitaine). Comme dans 67 autres départements, le FN y arrive en tête. Mais là peut-être plus qu’ailleurs, le résultat surprend, soit par son ampleur, soit par caractère imprévu.

  • Dans l'Aisne, le FN explose les compteurs

C’est non pas dans le Sud-Est, terre historique du FN, mais dans la grande circonscription Nord-Ouest, où Marine Le Pen était candidate, que le parti lepéniste a réalisé son plus gros score, loin devant les listes de l'UMP (19,4 %) et du PS (10,3 %).

Joël Gombin.Joël Gombin. © M.T.

Ce résultat est une première à ce type d’élection, explique à Mediapart Joël Gombin. « Auparavant, on était habitué à voir le FN réaliser de très bons scores dans le Nord et l’Est lors des scrutins à forte intensité électorale et forte participation (comme l’élection présidentielle), et dans le Sud-Est lors des scrutins à faible intensité électorale et faible participation. Or, dimanche, c’est le Nord et l’Est qui sont en tête dans un scrutin européen, à faible intensité électorale. »

C’est aussi dans l’eurorégion Nord-Ouest que l’on trouve les quatre premiers départements frontistes : l’Aisne (40,02 %), le Pas-de-Calais (38,87 %), l'Oise (38,22 %), la Somme (37,15 %). Les résultats de la région Picardie (plus de 38 % des voix) ont amplifié ce score. Selon Joël Gombin, « ce n’est pas la première fois que le FN cartonne en Picardie et en particulier dans l’Aisne, département rural et périurbain, dont la partie sud possède une identité proche de la grande banlieue parisienne ».

Mais le FN s’y enracine davantage encore. Il y atteint même un niveau supérieur à la région Paca (+ 5 points) et au Nord-Pas-de-Calais (+ 3 points), où Marine Le Pen s’était implantée électoralement à Hénin-Beaumont. Dans le département de l’Aisne plus particulièrement, il réalise le double du score de l’UMP et trente points de plus que celui du PS. Dans certaines communes, c’est plus frappant encore. Comme à Tergnier (14 000 habitants), ancien bastion communiste, où Marine Le Pen dépasse les 41 %, tandis que le candidat du Front du gauche totalise moins de 15 % et que le PS et l’UMP plafonnent chacun à 12,8 %. Dans des petits villages de 300 habitants, comme Soupir ou Presles-et-Boves par exemple, le FN monte à 51,19 % et 58,41 % des voix.

Comment expliquer ce vote ? Ce n’est pas la proportion d'immigrés qui en est le moteur : comme le souligne Le Monde, elle est l’une des plus faibles en France (3,94 % selon l'Insee). Joël Gombin cite« l’affaiblissement du maillage territorial par les services publics » et « des indicateurs sociaux et économiques dans le rouge (chômage, taux d’alcoolisme, etc.) »« L’Aisne est moins médiatisée que le Pas-de-Calais, mais le FN y a une base électorale forte et la gauche y est moins implantée, donc elle résiste moins. »

À Abbeville, le maire PS avait réussi à conserver la ville à gauche en mars. Dimanche, Marine Le Pen y est pourtant arrivée première, 20 points devant l’UMP et devant le PS. Pour Joël Gombin,« l’ancrage local de la gauche a fonctionné en mars, car le maire PS était bien implanté et avait réussi à se rallier le vote des associations de chasseurs. Mais dès que le scrutin se nationalise, le vote FN reprend le dessus ».

Pour Florent Gougou, post-doctorant à l'université d'Oxford et spécialiste des comportements électoraux, « l’effet Marine Le Pen joue à plein. En 2009, elle était déjà tête de liste pour les européennes dans cette même circonscription. Et le FN y avait déjà fait un score bien meilleur qu’ailleurs. Elle est connue de tous les électeurs, contrairement aux candidats des autres partis. Et à partir d’un socle très élevé, elle constitue une locomotive ».

  • En Seine-Saint-Denis, beaucoup de villes de gauche ont voté FN

C’est l’une des plus grosses surprises de l’élection européenne 2014 : la Seine-Saint-Denis, l’un des départements les plus pauvres et les plus cosmopolites de France, a placé le Front national en tête de ses votes, dimanche 25 mai. Avec un peu plus de 20 % des voix, le parti de Marine Le Pen devance de loin l’UMP (14,8 %), les socialistes (13,7 %), le Front de gauche (12 %) et les écologistes (10 %), alors qu’il y a deux ans, le 93 votait massivement pour François Hollande au second tour de la présidentielle, avec 65 % des suffrages exprimés.

Le phénomène est particulièrement frappant dans les villes dirigées par un maire de gauche. Le FN devance les autres partis à Bondy, Clichy-sous-Bois (qui avait pourtant élu son maire PS au premier tour en mars dernier), Dugny, La Courneuve (un bastion communiste), Noisy-le-Grand, Pierrefitte, Romainville, Rosny, Sevran (la ville de l’écologiste Stéphane Gattignon), Stains, et à Tremblay-en-France (dirigée par le député François Asensi, une figure du PCF). Les villes de droite donnent ses plus gros scores au Front national : Coubron (plus de 32 % des votes), Montfermeil, Vaujours, Villepinte... Aux Pavillons-sous-Bois, dans la commune dirigée par le leader départemental de l’UMP, Philippe Dallier, élu au premier tour avec 82 % des voix, le FN l’emporte avec près de 25 % des suffrages.

Le contraste est saisissant avec le résultat des élections municipales du printemps dernier, quand le Front national n’avait pu présenter que deux listes, à Noisy-le-Grand et Rosny-sous-Bois. Le parti de Marine Le Pen s’en était sorti avec quatre conseillers municipaux. C’est un tout autre paysage politique qui apparaît aujourd’hui en Seine-Saint-Denis, marqué également par une abstention record de près de 69 %. En Île-de-France, c’est le département qui a le moins voté aux européennes. Dans certaines villes, comme La Courneuve, Villepinte et Clichy-sous-Bois, le taux de participation plafonne à 22 %, contre près de 57 % au niveau national.

Florent Gougou à MediapartFlorent Gougou à Mediapart © MT

Or, pour Florent Gougou, « les résultats du département dépendent complètement de la mobilisation. La participation baisse de 48 points par rapports à la présidentielle de 2012. Et même de 7 points par rapport aux européennes de 2009. Cela change tout. L’électorat de gauche ne s’est pas mobilisé. Le niveau de la droite en général augmente Et la concurrence de l’UMP ne s’exerçant pas vraiment sur une partie du département, le FN en profite pour tirer au mieux son épingle du jeu ».

À ceux qui s’étonnent que le FN puisse obtenir un tel rang dans un département où il était si peu représenté lors des municipales, Joël Gombin répond que « l'absence d'implantation militante n'empêche pas l’implantation électorale ». « En Seine-Saint-Denis, la structure militante du FN subit encore les conséquences de la scission avec les mégretistes de 1999. Ce qui n’empêche pas le FN de faire des scores non négligeables là où il se présente, on l'a constaté dans les trois villes du département où il était candidat aux municipales. »

  • Le Morbihan, l'exception bretonne

« L’Ouest résiste à la vague FN » : au lendemain des élections européennes, le quotidien Ouest France a repris cette métaphore maritime pour désigner l’exception constituée par le résultat dans la deuxième circonscription (Bretagne, Pays de la Loire et Poitou-Charentes), située en bordure de l’océan Atlantique, la seule avec l’Île-de-France à ne pas avoir placé le Front national en tête lors du scrutin organisé en France dimanche 25 mai.

En terres bretonnes, un département a toutefois été emporté par le raz-de-marée : le Morbihan. Malgré une campagne a minima, le parti de Marine Le Pen y obtient 20,28 % des suffrages exprimés (alors qu'il était inexistant en 2009), devant l’UMP (19,43 %), le PS (14,22 %), l’UDI-MoDem (11,33 %) et EELV (9,24 %). Les élus locaux n’en reviennent pas. « Du jamais-vu »« inattendu »,« surprenant » : les qualificatifs entendus d’horizons divers se résument en un seul « incompréhensible ». Que s’est-il passé pour que le tissu social propre à la région se délite jusqu’à produire cette situation hors-norme ? Comment le FN a-t-il trouvé suffisamment de voix parmi les ouvriers des chantiers navals de Lorient, les petits commerçants de Vannes, les ostréiculteurs de Tour-du-Parc, et, partout dans l’arrière pays, parmi les ouvriers de l’agroalimentaire, les paysans et les employés des services à la personne pour s’imposer en première position à l’échelon départemental ?

La succession des plans sociaux, les fins de mois difficiles, le chômage des jeunes : la crise économique et sociale a fini par désespérer, comme dans beaucoup de territoires français, des travailleurs qui ne croient plus dans les recettes proposées par les responsables politiques classiques.

Or le département, historiquement à droite dans une Bretagne ancrée à gauche, est tenu par deux de ces figures, représentant les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir au cours des dix dernières années : le socialiste Jean-Yves Le Drian, ex-maire de Lorient, fidèle parmi les fidèles de François Hollande, actuel ministre de la défense, est influent dans l’ouest et le nord-ouest ; l’UMP François Goulard, ex-maire de Vannes, président du conseil général depuis 2011, ex-secrétaire d’État aux transports et à la mer (sous Jean-Pierre Raffarin) et ex-ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche (sous Dominique Villepin), étend ses réseaux dans l’est et le sud du département.

Pour Damien Girard, ex-élu municipal EELV de Lorient, le système politique local est si « cadenassé » que les électeurs ne lui font plus confiance. « La droite et la gauche gestionnaires, avec leurs pratiques mortifères d’affiliation, bloquent toutes les alternatives démocratiques. Dès que vous contestez un tant soit peu la ligne, vous êtes diabolisé, dès que vous avez des idées, vous êtes ostracisé. Soit vous collaborez, soit vous disparaissez. À force, c’est décourageant », indique-t-il.

Le « tous pourris » a pu fonctionner. Aux élections municipales, les listes FN, faute de candidats, étaient quasiment absentes des villes du département, sauf à Lorient. Pour certains électeurs, le vote frontiste est ainsi apparu aux européennes, dans l’offre électorale, comme le seul, le dernier, qu’il n’avait pas encore essayé. Sans compter que les institutions bruxelloises semblent au mieux lointaines, au pire néfastes, par exemple en raison de directives comme celle sur les travailleurs étrangers. Au rejet des candidats « du système » a pu s’ajouter un effet défouloir à l’égard d’un horizon européen dont les avantages ne sont pas directement perceptibles.

Une majorité de villes du département – plusieurs dizaines au total – ont placé le candidat frontiste, Gilles Lebreton, en première position. Ce n’est pas le cas à Vannes, où l’UMP finit en tête, ni à Lorient, où le PS conserve le plus de voix. Mais, même là, les socialistes sont talonnés par la formation d’extrême droite qui s’installe d’une élection à l’autre, avec le même nombre d’électeurs aux européennes qu’aux municipales. À côté, d’anciennes villes communistes comme Quéven, Hennebont et Lanester ont créé la surprise : le FN y est numéro un. À Radenac, dans les terres, il rafle 41,39 % des suffrages, laissant le maire désemparé.

Sauf dans le nord-ouest, où Christian Troadec, le maire de Carhaix, arrive devant les autres candidats, l’effet Bonnets rouge est resté marginal. Le parti autonomiste de gauche UDB n’est pas non plus parvenu à capitaliser sur le mouvement de contestation observé ces derniers mois à l’encontre de l’écotaxe. De tous les populistes, le FN est celui qui a remporté la mise.

Pour autant, pour Florent Gougou, le score du Front national n’est pas si surprenant : « On dit que les européennes ne sont généralement pas favorables au FN car l’électorat populaire, qui constitue une composante forte du vote FN, se mobilise moins pour ce type d’élection. On dit aussi que l’électorat anti-européen se mobilise moins car voter aux européennes reviendrait à légitimer l’Union européenne. Mais on oublie un autre élément qui permettait d’expliquer le score assez faible du FN aux européennes : l’existence d’une liste souverainiste forte en 1994, 1999, 2004… Charles Pasqua et Philippe de Villiers ont attiré lors de ces scrutins bon nombre de suffrages. Or cette fois, Nicolas Dupont-Aignan n’a pas le même poids. La concurrence est bien moindre. Et le FN en profite. Dans le Morbihan par exemple, mais on pourrait faire la démonstration en Seine-Saint-Denis, si on additionne les voix d’extrême droite et les voix souverainistes, on est au-dessus de 20 % en 1994 (environ 22 %), un peu en dessous seulement en 1999 et 2004 (environ 17 %). »

  • Dans le Lot-et-Garonne, la gauche s’écroule

Dans la région, le FN parvient à prendre la première place dans le Lot, le Gers, l’Ariège, les Hautes-Pyrénées. Mais dans le Lot-et-Garonne, où il était déjà bien implanté, il frappe encore plus fort, avec plus de 28 % des suffrages, plus de 10 points devant l’UMP, plus de 15 points devant le PS. Ici, dans ce département très rural, 269 communes sur 319 ont placé le FN en tête. Mais les trois plus grosses communes, Agen, Villeneuve-sur-Lot et Marmande, toutes aujourd’hui dirigées par la droite, ont fait ce choix également.

Matthias Fekl, député socialiste du département, ne se dit pas étonné : « Entre le désarroi et la colère, tout ça était écrit. La jeunesse se sent abandonnée : quand on parle des jeunes, c’est en s’adressant aux vieux. L’Europe est au mieux abstraite, au pire menaçante, avec l’idée qu’il n’y en a que pour les métropoles. Lors des municipales, aucune commune du département n’avait viré à l’extrême droite. Mais là, c’est une élection qui ne concerne pas le quotidien. Il n’y a donc pas d’hésitation. Et une forme de désinhibition. »

De leur côté, les maires des communes rurales où le FN a fait plus de 40 % des voix n’en mènent pas large. « Je n’arrive pas à comprendre », répond Pierre Clament le maire (PS) de Saint-Sernin (312 inscrits), où le FN fait plus de 47 % des voix. « On n’est pas touchés par l’immigration. On n’a pas de problèmes de sécurité. Je vois plus ce vote comme un défouloir qu’autre chose. Des gens se disent : de toute façon, aux européennes, on ne risque rien. Je vois pas mal de gens qui ont voté François Hollande il y a deux ans et qui cette fois ont voté FN. »

À l’autre bout du département, Gilbert Tovo, maire (divers droite) de Tayrac, agriculteur à la retraite, ne dit pas autre chose : « C’est la seule arme que les gens ont trouvé pour se défendre, pour se faire entendre. Beaucoup de jeunes votent FN. Mais on trouve aussi des retraités, des gens de gauche comme de droite. Je ne sais pas. On sanctionne un gouvernement qui vient de changer. Je ne pense pas que la qualité de vie se soit détériorée. Ni qu’il y ait plus de pauvreté. Mais que voulez-vous, on crie avant d’avoir mal. Il n’y a pas d’étrangers chez nous. Mais on en parle autant qu’ailleurs. »

Pour Florent Gougou, la forte dynamique observée dans le Lot-et-Garonne confirme que « plus on est loin des centres urbains, plus le FN se porte bien. Il n’y a pas besoin d’avoir des immigrés devant sa porte : on en voit suffisamment à la télé ou quand on prend sa voiture pour les percevoir comme une "menace"». Mais pour toute la région du Sud-Ouest, c’est l’écroulement de la gauche qu’il retient comme facteur d’explication numéro 1.

Quant à Joël Gombin, il explique qu’« à Villeneuve-sur-Lot (deuxième ville du département), on notait déjà de très bons scores du FN avant l’affaire Cahuzac et la législative partielle. Le parti réalisait ses meilleurs scores de la région dans la vallée de la Garonne, où on trouve une implantation de pieds-noirs. L’affaire Cahuzac n’a fait qu’accentuer cet effet ». Comme d'autres affaires des dernières semaines, peut-être.

La boîte noire :

Joël Gombin est doctorant en sciences politiques au CURAPP (l'Université de Picardie-Jules Verne), spécialiste des électorats du FN. Il travaille sur le Front national depuis 2004 et termine une thèse sur les votes FN en région PACA. 

Florent Gougou est chercheur associé au Centre d’études européennes et post-doctorant à l'Université d'Oxford. Spécialiste des comportements électoraux (voir ses travaux), il a soutenu en 2012 une thèse sur les mutations du vote des ouvriers.